L’ancien Premier ministre congolais Augustin Matata Ponyo a été condamné à dix ans de travaux forcés par la Cour constitutionnelle, dans le cadre du procès lié au projet avorté du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo.
Deux de ses co-accusés, Déogratias Mutombo Mwana Nyembo, ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo, et Christo Grobler, homme d’affaires sud-africain à la tête de la société Africom, ont écopé de cinq ans de travaux forcés chacun.
Les trois hommes étaient poursuivis depuis 2021 pour le détournement de plus de 285 millions de dollars américains, fonds alloués à ce projet phare lancé sous la présidence de Joseph Kabila. Initié pour promouvoir l’autosuffisance alimentaire et stimuler le développement agricole, Bukanga Lonzo est devenu le symbole d’un vaste scandale de gestion.
Dans son arrêt, la Cour constitutionnelle a réaffirmé sa compétence à juger l’ancien chef du gouvernement, désormais député national. Elle a balayé les arguments de la défense en déclarant :
“L’immunité protège la fonction et non la personne. Matata Ponyo est devenu député alors que les poursuites étaient déjà en cours.”
Une position qui a provoqué des remous sur la scène politique nationale.
L’affaire a exacerbé les tensions entre la Cour constitutionnelle et l’Assemblée nationale, cette dernière contestant la légalité de la procédure sans levée formelle de l’immunité parlementaire de Matata. Le président de la chambre basse, Vital Kamerhe, a dénoncé une “violation de la Constitution” et évoqué la nécessité d’une rencontre avec le président de la Cour constitutionnelle pour harmoniser les vues.
Mais Dieudonné Kamuleta Badibanga, président de la Cour, a rétorqué que la procédure judiciaire avait déjà dépassé la phase nécessitant une autorisation parlementaire, rappelant que l’article 151 de la Constitution interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans les affaires judiciaires.
De son côté, Augustin Matata Ponyo continue de clamer son innocence. Dans une vidéo publiée en mars, il a dénoncé une “manipulation politique”, accusant le pouvoir en place d’utiliser ce dossier comme outil de pression chaque fois qu’un élargissement de coalition est envisagé.
“Ce dossier, davantage politique que judiciaire, ressurgit à chaque fois que je refuse d’intégrer l’Union sacrée ou que je prends une initiative politique indépendante”, a-t-il affirmé.
Il accuse également la Cour constitutionnelle d’avoir changé de cap, rappelant qu’en 2021, sous la présidence du professeur Dieudonné Kaluba, la même juridiction s’était déclarée incompétente pour le juger.
“Le professeur Kaluba a été évincé de la Cour pour avoir refusé de se soumettre aux injonctions politiques”, a-t-il déclaré.
À ses débuts, le projet Bukanga Lonzo était présenté comme une réponse stratégique à l’insécurité alimentaire et au chômage. Mais très vite, les résultats se sont révélés décevants. Une enquête menée par l’Inspection Générale des Finances (IGF) a révélé un détournement massif : plus de 285 millions USD décaissés sans impact notable sur le terrain.
Aujourd’hui, la condamnation de Matata Ponyo marque un tournant judiciaire majeur, mais elle continue de diviser l’opinion publique entre ceux qui y voient une victoire de la lutte contre la corruption et ceux qui dénoncent une instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
Patrick Kalume