Nord-Kivu : de Nzulo à Bulengo, voici pourquoi il faut éviter d’acheter ou construire dans l’espace gagné en procès par l’ICCN contre le Village de Nzulo

Compress 20250502 232227 7124

Depuis quelques années, un litige oppose les communautés de Nzulo à l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN). Cette affaire, devenue particulièrement complexe, a impliqué et mis en danger plusieurs personnes ayant acquis des terrains dans la zone revendiquée par l’ICCN, laquelle fait partie intégrante du Parc national des Virunga.

Dans cet article, nous vous retracerons en détail les faits, les enjeux de ce conflit et la manière dont l’ICCN a obtenu gain de cause devant la justice.

Le processus d’acquisition des terres constituant aujourd’hui le Parc national des Virunga

L’origine du Parc national des Virunga remonte à l’époque coloniale, avec sa création initiale dans le secteur de Mikeno, où la découverte de gorilles avait suscité un grand intérêt. Ce secteur, situé à la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda, a constitué le point de départ de l’établissement du parc. Par la suite, la zone des volcans fut intégrée, entraînant également l’inclusion de la région de Nzulo dans les limites du parc.

Le processus d’acquisition des terres pour le parc suivait alors une procédure rigoureuse, comparable à celle utilisée aujourd’hui. Il commençait par des enquêtes de vacance des terres, menées pour identifier les espaces disponibles. Ces enquêtes se faisaient en concertation avec les chefs coutumiers, à travers des interrogatoires visant à déterminer : le nombre d’habitants, les droits coutumiers en place, les activités pratiquées, et les spécificités liées aux terres. Si les terres étaient jugées vacantes, l’étape suivante consistait à indemniser les détenteurs coutumiers, généralement en présence d’un avocat pour les assister. C’est ainsi que l’administration coloniale acquit progressivement les terres dans toutes les zones qui forment aujourd’hui le parc.

Le cas particulier du territoire de Masisi

Dans la région de Masisi, les terres du parc estimées à 31.200ha furent acquises à travers deux actes de cession : l’acte de cession du 12 avril 1934 et celui du 13 novembre 1939 (cfr enquête sur les droits des indigènes page 23) .

L’un portait sur le village Shove et les terres en dépendant et le sécond concernait le reste des terres du Bloc I  englobant la zone de Nzulo jusqu’au lac. Ces actes existent toujours, de même que les archives y afférentes.

À cette époque, le Mwami Kalinda André, assisté de ses notables Shabapfuku et Rugenge-Nzulo, céda ces terres en échange d’indemnisations. Toutefois, un droit ne fut pas cédé : celui de récolter du sel sur le volcan Rumoka, une pratique ancestrale des communautés locales en raison de l’absence de sel raffiné dans la région. Ainsi, bien que la cession foncière ait été complète, un droit d’usage spécifique fut maintenu. Cela est clairement mentionné dans le document intitulé ” Enquête sur le droit des indigènes dans le Parc National Albert”.

En 1939, la coulée de lave du volcan Rumoka était encore visible, ce qui facilita la définition des limites du parc. Il fut convenu que la zone couverte par la coulée orientale de 1938 du volcan Nyamulagira, de Sake au lac, puis vers Mugunga en suivant les bords de la coulée, constituerait la frontière officielle du parc. Ces limites furent ensuite confirmées par l’acte de cession du 13 novembre 1939.

À cette époque, le village de Nzulo existait déjà sur les rives du lac, tout comme les collines avoisinantes de Miyonga, Kabazana et Kitwalo, exploitées pour l’agriculture. Une négociation permit d’exclure ces collines des limites du parc. Il fut alors décidé que ces terres cultivées resteraient en dehors du parc et qu’elles seraient dûment bornées. L’ICCN n’a jamais considéré que le village de Nzulo faisait partie du parc ; au contraire, les textes légaux reconnaissent clairement l’existence d’enclaves, dont le village de Nzulo et les quatre collines dérogation est clairement reprise dans l’acte de gestion des droits des indigènes signé le 1er avril 1948 (cfr l’acte de gestion des droits des indigènes)

L’évolution du conflit

Des années plus tard, les guerres provoquèrent des déplacements de population vers Nzulo, qui se développa alors en village plus étendu. Dans la correspondance signée en 2008 par le chef de village de Nzulo M. Bosco BULONDO MUSEMAKWELI ( cfr lettre), le chef du village sollicita une extension de deux kilomètres carrés vers le parc, invoquant la croissance démographique. Le ministre de l’environnement refusa, invoquant l’impossibilité d’octroyer une dérogation. Ce fut le début des premières revendications foncières émanant de la communauté actuelle de Nzulo.

La loi de 1935 ayant suscité quelques contestations, le roi des Belges signa en 1948 une ordonnance instituant une commission de terrain, chargée d’identifier et de résoudre les conflits fonciers. Cette commission consulta largement les chefs coutumiers et parvint à des solutions consensuelles. Ces décisions furent consolidées par la loi de 1950. Si un problème d’indemnisation avait existé à Nzulo, il aurait été consigné dans ce rapport, or ce n’est pas le cas.

Les seules préoccupations des communautés de Nzulo concernaient les quatre collines exclues et le droit de récolte du sel. La commission conclut que la récolte du sel sur Rumoka n’était plus justifiée, car du sel raffiné était désormais accessible à Sake. Le droit fut donc exproprié. Cependant, la commission reconnut les droits de passage vers Nzulo et vers les quatre collines, droits formalisés dans un document appelé “Acte de gestion du droit des indigènes datant de 1948”. Ce document confirmait également que toute nouvelle terre couverte par la lave, en cas de nouvelle éruption, serraient ajoutées au parc moyennant une indemnisation équitable. Or, depuis l’éruption de 1938 ayant servi de repère de la limite dans cette zone lors de la passation de l’ate de cessions du 13 novembre 1939,, aucune nouvelle coulée n’a été enregistrée dans cette zone.

Les litiges contemporains

Vers 2009–2010, les communautés de Nzulo relancèrent l’idée d’une extension du village. Un groupe de cinq individus intenta une action en justice contre l’État congolais, prétendant qu’il restait des terres non indemnisées. Il s’agit notamment des messieurs :
1) Nyandu Kachuki Pierre,
2) Dunia Bakulu Musemakweli,
3) Bulondo Musemakweli,
4) Malira Musemakweli et
5) Shamavu Maene.

Ils s’appuyèrent à tort sur l’Acte de gestion du droit des indigènes en prétendant que de nouvelles terres avaient été affectées suite à la coulée de par la lave ce qui était inexact (la dernière coulée enregistrée dans cette zone date de 1938 cfr carte sur l’historique des coulées de lave de l’OVG) .

Ils introduisirent ensuite une action en justice contre l’État, propriétaire du parc. Le procès fut entaché d’irrégularités : certains avocats de la République chargés de défendre l’État possédaient eux-mêmes des parcelles à Nzulo, ce qui les poussa à saboter le dossier. Le jugement leur fut favorable, et l’État fut sommé de libérer 1110 hectares au profit des communautés de cinq demandeurs (RC 20504/20070). L’ICCN fit appel initia un recours en tierce opposition conformément à la loi, mais fut débouté par les mêmes juges. Ces derniers déclarèrent notamment que le DG de l’ICCN n’avait pas qualité pour représenter l’Institut, en raison de la durée de son mandat dépassant 10 ans, bien que légalement seule une ordonnance présidentielle peut mettre fin à ce mandat.

L’ICCN interjeta appel à la Cour d’appel du Nord Kivu à Goma mais étant donné que les juridictions de cette province n’offraient pas des gages d’une justice impartiale et sereine au vu de la sensibilité du dossier, une action en suspicion légitime fut engagée à Kinshasa, et la Cour de cassation renvoya l’affaire à une juridiction neutre : le tribunal de Kalemi la Cour d’appel de Tanganyika à Kalemie. Pendant que l’affaire y était en cours, des constructions illégales commencèrent à Nzulo, malgré le caractère suspensif de l’appel. Le gouverneur Ndima signa alors un arrêté conservatoire suspendant les travaux, avec mise en place d’une force conjointe pour faire respecter la mesure ( cfr arrête N° 01/264/CAB/GP-NK/2022 du 15/09/2022) .

Les communautés attaquèrent l’arrêté du Gouverneur devant la Cour d’appel du Nord Kivu à Goma en procédure administrative de référé liberté, sans succès. Elles saisirent ensuite le Conseil d’État, mais entre-temps, le tribunal de la Cour d’appel de Tanganyika à Kalemie rendit un jugement arrêt favorable à l’ICCN (RCA074/4493).


Cet arrêt  s’appuyait sur deux constats :

• Les plaignants n’avaient pas prouvé leur qualité d’héritiers des coutumiers ayant cédé les terres à l’État.
• Le juge initial avait ignoré que ces terres faisaient partie du domaine public de l’État, inaliénable par nature.

À la réception du jugement de l’Arrêt de la Cour, le Gouverneur rétracta officiellement son arrêté portant suspension des travaux à Nzulo, en vue de permettre son exécution. Le Conseil d’État, saisi pour annuler cet arrêté, constata qu’il n’était plus en vigueur. Cependant, les avocats des communautés  les instigateurs de ce dossier créèrent un héritier fictif, un certain Rugenge, pour contourner le défaut de qualité souligné par la Cour d’appel de Tanganyika Kalemi. Ce dernier fut débouté après contestation à la suite d’un procès en tierce opposition  et après que sa demande de suspension de l’exécution du premier arrêt a été jugée irrecevable.

L’ICCN remporta alors ce procès de façon définitive (RC 006/T.0PP RCA 074/4493).

img 20250503 0000322907404939108163840

La cour invita à poursuivre le traitement au fond du dossier. Entre-temps, les communautés, doutant de la neutralité de Kalemi, retournèrent à la Cour de cassation… qui les renvoya une fois de plus à Kalemi. Elles finirent par abandonner les audiences, mais poursuivirent les constructions sur le terrain. Une nouvelle comparution imposée par le tribunal permit à l’ICCN de remporter à nouveau le procès, cette fois contre Rugenge.

Situation actuelle

À ce jour, l’ICCN détient deux décision de justice (Arrêts) jugements fermes en sa faveur, tandis que les communautés de Nzulo ne disposent d’aucun titre légal justifiant leur présence sur les terres. La seule chose qu’elles ont réussi à faire, c’est construire pendant la durée des procédures judiciaires.

L’ICCN prépare à présent l’exécution du jugement, conformément à la loi. Les habitants de Nzulo courent un grand risque, car ils ont été trompés par des individus qui ont monté une stratégie concertée, en complicité avec des autorités à divers niveaux, pour déposséder l’État.

Les personnes ayant acheté des terrains à Nzulo perdront leurs investissements, car la loi sur la conservation de la nature est claire : le domaine public de l’État n’est ni cessible ni aliénable. Toute vente ou octroi de titres sur les aires protégées est nul et de nul effet. Des sanctions sont prévues contre tout agent public qui participe à de telles irrégularités.

Ilunga Mubidi Oscar

Related Post

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *